Dimanche soir s’est achevée la 33ème édition du Festival Art Rock. Retour sur trois journées différemment colorées, passant par toutes les nuances de l’arc en ciel : on a parfois ri jaune, vu rouge, parfois rosi de plaisir devant de noirs félins sénégalais ou des bruits blancs anglais. United Paintings, ou comment témoigner d’une large palette chromatique, entre gris clair et gris foncé.
Photo : Jacqueline Ledoux
1. MATS
Commençons par ce qui fâche : Art Rock 2016 n’est sans doute pas la meilleure édition de ces dernières années. Si le festival nous a souvent habitué à des choix audacieux, des contrepoints inattendus sur la Grande Scène ( Alice Cooper en 2014, Brian Ferry en 2012), cette année les têtes d’affiche semblaient calquées sur le cahier des charges de multiples festivals. Non pas que nous n’aimons pas Rover, Louise Attaque ou Feu Chatterton!, mais il manquait un je ne sais quoi de folie et d’exubérance sur la Grande Scène. Des artistes comme The Shoes, Rone ou Birdy Nam Nam ont proposé des sets efficaces, visuels, impeccables, mais question émotion et grand tremblement, il fallait plutôt se diriger vers la scène B ou le forum. Entertainment d’un côté, radicalité musicale de l’autre. Lors de la conférence de presse de Rover, le chanteur expliquait que son concert cette année ne ressemblerait pas à celui donné il y a quatre ans au Forum. Qu’il fallait prendre en compte l‘espace, le plein air, la dispersion du son. Et en effet son concert, en s’adaptant à ces paramètres, fut quelque peu décevant si on le compare à ses prestations en milieux plus intimistes.
D’autres choix de programmation en ouverture sur la Grande Scène paraissaient également étranges : Odezenne, Jain (très attendue) se sont sans sans doute épuisés trop vite sur une scène trop grande pour eux, en tous les cas pour l’instant.
Enfin, une sorte de lassitude (mais ça Art Rock n’y est pour rien) face aux immuables éléments de langage censés galvaniser l’auditoire. Comme si nombre d’artistes, élus sur la scène principale, s’étaient donné des formules magiques, des abracadabras pour combler le vide. Top 3 : « faites du bruit !!! », « Ca va (St Brieuc) ??? (pratique parce qu’il n’y a que le nom de la ville à changer) ou « je vous aime, vous êtes merveilleux, j’adore la Bretagne »… Ca peut marcher un temps, mais ça s’essouffle vite. Il y a tellement de façons d’interagir avec un public que ces appels balancés à répétition semblent contre-productifs. Ou aller dans le sens de l’uniformisation regrettée un peu plus haut. Allez, faites un effort : A l’image de Feu Chatterton et son lyrisme détonnant, on peut sûrement trouver trois quatre formules efficaces sans tomber dans l’accroche de dissertation non ?
Photo : Jacqueline Ledoux
2. En demi-teinte
Certains artistes attendus, ont certes fait le job, mais on attendait mieux. Fantasme, hasard d’un coup de mou ? La prestation de Balthazar, jugée classieuse ou pleine de grâce par plusieurs médias, nous a paru terne. Morceaux enchainés scolairement, très peu d’interaction avec le public, le groupe pouvait cependant compter sur la qualité de sa proposition, fort de deux derniers albums irréprochables. Résultat, un concert décevant (ou déceptif comme diraient les Inrocks) qui nous a convaincu qu’il fallait les revoir pour confirmer ou infirmer cette impression.
Même chose pour Carribean Dandee ou Caravan Palace. Perfection métronomique, sens de la scène, maitrise incontestable. Mais encore une fois, Si l’on vient pour écouter et non pas pour danser la gigue entre un godet de bière, un selfie et un appel sur smartphone (t’es où, mais t’es pas là, mais t’es où ? Gimmick Vianney cinquante fois entendu lors de ces trois jours) la recette fait long feu. A ce titre, si Caravan Palace invente le live en CD (aussi propre, aussi anesthésié, mais toujours convaincant) Carribean Dandee, eux, déterrent les punch line pathétiques d’une génération Bédo / Sexiste / Rastafari mon frère… Alors que musicalement, le set est plus qu’en place, electrisé par l’arrogance scénique de la bête de scène Joey-Nouvelle-Star (qui pour l’occasion s’est refait une coiffure old-school chez le toiletteur), on regrettera les lieux communs trop souvent appuyés lors des intermèdes, comme si la puissance de leur show et l’intelligence de leurs arrangements avaient encore besoin de provocations à deux balles (c’est à dire 13,12 francs, une pécadille.)
Autre demi-teinte, Two door Cinema Club le dimanche soir. Egérie des publicitaires, qui ont usé jusqu’à la corde les deux gros tubes What You Know et Something good can work, le groupe irlandais a semble-t-il enchanté le public, enchainant les formats radio guitare claire / socle disco. Si la sauce savamment pimentée prend, on se dit au bout de vingt minutes que les morceaux semblent interchangeables. On varie les Bpm et on change un ou deux accords. Diablement efficace, mais au bout de cinq six morceaux, diablement lassant…
Enfin pour diverse raisons, on reste un peu sur notre faim face aux concerts de The Pirouettes, de Jeanne Added et Feu Chatterton!. Si le jeune couple parisien a su restituer la joliesse de leurs mélodies bricolées et souvent très entêtantes sur la scène B, il leur manquait encore l’envergure nécessaire pour faire décoller le tout. A suivre donc, tant il n’était pas simple (et envisagé ?) pour eux d’en faire plus pour l’instant. Jeanne Added, elle, a sans doute souffert (comme Rover) de la dimension d’une grande scène qui ne rendait pas service au son percutant, compact et intransigeant de son premier album. Si la prestation fut plus qu’honorable, on ne pouvait s‘empêcher de comparer son passage à St Brieuc avec celui, hypnotique, du Roudour à Morlaix. Cela aurait cependant l’occasion pour elle de faire découvrir un ensemble de morceaux terriblement séduisants, transcendés par une gestuelle et une présence maintenant taillée pour les grands événements. Enfin, si le concert de Feu Chatterton! ne peut rougir d’aucun déchet, le son n’aura pas joué en leur faveur, saturant une partie des paroles du fou chantant Arthur, toujours aussi dandy et perché dans les hautes sphères d’un maniérisme rock’n roll. On pense à Bashung, à Nick Cave, et on se dit qu’il faudra suivre le parcours de ces doux illuminés, qu’on reverra sans doute au Bout du Monde cet été.
Jeanne Added - photo : Jacqueline Ledoux
Carribean Dandee - photo : Jacqueline Ledoux
Feu Chatterton! - photo : Jacqueline Ledoux
3. Brillants
Ce week end fut aussi l’occasion de vraies découvertes ou de retrouvailles réjouissantes. Déjà recouverts de sépia, de turquoise, ou d’ocre lors de notre passage à Rennes il y a quelques semaines, nous avons été ravis de sacrifier à nouveau nos textiles aux volutes colorées d’Artonik. Raccord logique avec le thème du festival, la compagnie marseillaise a déambulé dimanche dans les rues de St Brieuc au rythme de ses danseurs, transformant le pavé en dance-floor, et saupoudrant à nouveau les centaines de participants de poudres multicolores. Résultat, un grain de folie bienvenu sous un ciel enfin bleu après deux jours de gris et de petite laine, qui perdurera sur la peau de certains festivaliers jusque tard dans la nuit.
Autre retrouvaille haute en couleur, Faada Freddy, coup de coeur du Bout du Monde 2015, avait les honneurs de la grande scène. Si l’on voulait pinailler, on reprocherait au concert de rester dans sa zone de confort, s’appuyant sur un premier album irrésistible de funk, de soul, de gospel. Mais on y retrouve le meilleur d’une voix sucrée / raillée à la Terence Trent D’Arby, la modernisation du genre digne d’un Patrice ou d’un Baucklang pour le Beat-box, et surtout, surtout, la fraicheur d’un artiste encore et toujours généreux, vraisemblablement heureux de se produire sur scène. L’émotion ne connait aucun algorithme, et Faada Freddy fut un des rares à susciter une vraie vibration, par son personnage solaire, sa sincérité encore intacte. Alors oui, on aurait aimé plus de prise de risque, mais le segment d’une heure montre en main ne laisse pas forcément la place à l’improvisation audacieuse. On se contentera donc en fin de concert d’une reprise fédératrice de Bob Marley, No Woman no Cry, en cette semaine anniversaire de sa mort. Si le clin d’oeil peut paraitre cliché, on sait aussi l’attachement de Faada au reggae comme il nous l’a confié lors de sa conférence de presse. En tous les cas, l’artiste est définitivement attachant, et à suivre dans ses prochaines pérégrinations.
Faada freddy - photo : Jacqueline Ledoux
Après, comme souvent, les projets les plus excitants se manifestent au forum de La Passerelle. Quelle purge de voir J-C Satan et son bruitisme controlé en fin de soirée le samedi soir. Ici, pas de « faites du bruit !!!» mais un implacable mur du son, nous ramenant aux meilleures heures du rock sans fioritures, réunissant dans un grand raout, les revenus de l’île de Watt et les puristes du son garage, autour d’un concert incandescent. D’autres noms à retenir lors de ces soirées alternatives : Woody Smalls, Pumarosa ou Thylacine.
Enfin, saluons le professionnalisme de toute l’équipe de Wild Rose et d’Art Rock, qui a su tenir compte des remarques des années passées. Nouvel espace-presse plus chaleureux, plus grande fluidité lors des entrées sur site. Saluons également l’harmonisation à l’unisson d’une ville qui, à l’image d’un festival comme les Transmusicales de Rennes, vit aujourd’hui à l’aune d’une pulsation événementielle. Il y avait cette année une véritable proposition de concerts off, de dj-sets, dans une dizaine de bars, qui donnait vraiment envie d’en être. Rien ne vaut plus, grâce à Art Rock, que de voir St-Brieuc se réveiller au diapason d’un United Paintings.
Rendez-vous l’année prochaine…
Merci à toute l'équipe d'Art Rock, à Jacqueline pour sa compagnie, son sens de la musique et son regard. Merci aussi à Didier, Juliette, Marc, Julien (Juju), Thomas, Emilie, Alban, Titouan, Julien (Perrin), Gilles, Annabelle, Hervé. Et à Anne qui a suivi ça de loin...