Julien Jaouen
Compositeur
S’il est bien une catégorie de musiciens qu’il me tenait à cœur de recevoir dans ce rendez-vous mensuel, c’est bien celle des compositeurs (images). Méconnus, la plupart du temps relégués aux lignes intermédiaires des génériques que les gens ne lisent que trop peu, ces artistes « de l’ombre » apportent beaucoup, par leur entreprise qui conjugue audio et visuel, à la réussite de l’ensemble. C’est une science à part, où dans le meilleur des cas, la musique entretiendra un rapport fusionnel avec l’émotion que l’on doit ressentir. Pour un Hermann, un Morricone, un Zimmer, combien de petites mains ? Qui se soucie vraiment de connaître le nom de ceux qui pourtant, enrobent votre expérience visuelle d’une pertinente partition sonore ?
Julien a déjà une expérience solide dans ce métier. Formé à l'INFMN/CIM, (prestigieuse école de jazz) il y côtoie des profs d’exception comme Michel Véra ou Tito Puente (oui oui celui de Oyé como Va) et séduit, il gardera par la suite cette approche mathématique de la musique pour ses compositions. On a pu l’entendre dans des illustrations sonores pour Tf1 ou France 2, des pièces de théâtre, ou encore dans des longs métrages comme Dirty Money d’Adam Tysoe. fondateur du Studio Alpha, programmateur musical du (feu) L'oreille à Coulisse à Trébeurden, Julien déploie son talent. Et un peu de chauvinisme ne faisant pas de mal, on lui doit la musique de la pub pour les Côtes-d’Armor mais aussi « de Chevrolet, du planétarium de Pleumeur-Bodou, de la banque ING direct, d’un moyen-métrage primé à Clermont-Ferrand, de pièces de théâtre pour enfants du TNB, des X-games 2009 (sports extrêmes), de la pub Volvic où Zidane expliquait « C’est toujours le même geste »... » (Article Le Télégramme du 16/09/11)
Désormais lauréat du prix Real World orchestré par Peter Gabriel (excusez du peu) il peut aujourd’hui exprimer son talent dans des productions ambitieuses comme une collaboration ave Europa Corp (créé par Luc Besson et Pierre-Ange le Paugam) pour un projet avec Dominique Farrugia. Belle promotion, reconnaissance de plus en plus grande. Julien Jaouen devient peu à peu une référence dans le paysage audio-visuel français et est promis à une exposition musicale majeure. En tous les cas c’est tout le mal qu’on lui souhaite.
Aujourd'hui, il a gentiment accepté de répondre aux dix questions de ce rendez-vous . Merci à lui.
1° Peux-tu nous exposer en quelques mots ton rapport à la musique ?
Il est... complexe.
Il y a tout d'abord mon rapport personnel à la musique. Le même que celui d'un adolescent très grand consommateur de musique et en perpétuelle recherche d'une nouvelle sensation, d'un nouvel univers musical qui pourrait me transporter.
Et puis il y a mon rapport professionnel à la musique. Celui-ci est beaucoup plus délicat et probablement plus froid dans son approche. Il peut même m'arriver de détester d'écouter de la musique. De me lasser de cette forme d'art. De plus, si mon métier tourne autour de la musique, elle n'est qu'une partie de mon travail. C'est un raisonnement purement mathématique, logique et pragmatique de ce qui pourrait être efficace à l'image. C'est toute la particularité de la musique de film. elle ne doit pas juste être une belle musique. Elle doit aussi faire partie d'un tout qui sera jugé dans sa globalité. Spielberg a dit une phrase que j'adore et dont je me sers tout les jours dans mon travail : “mon job, c'est d'amener la larme à l'oeil du spectateur. Celui du compositeur, c'est de la faire tomber !”. Voilà en une phrase, tout le rapport professionnel que j'entretiens avec la musique...
2° Si tu devais isoler un album qui t'a marqué à vie ?
Aïe... La question impossible... Il y en a tellement.
La question revient un peu à se demander quel album nous emmènerions sur une île deserte...
S'il ne devait n'y en avoir qu'un, ce serait la bande originale du film de Scorcese La Dernière Tentation du Christ. Je me souviens avec précision du jour et de l'heure de ma première écoute. Je devais avoir 8 ans et c'était le tout premier CD acheté par mon père (1988, les premières chaînes hifi débarquaient... Je me souviens très bien du ton paternaliste qu'il avait utilisé pour me dire : "tu vas voir... Ca, tu n'as jamais entendu quelque chose comme ça". Je pense qu'il s'attendait à me voir quitter la pièce au bout de 3 minutes, mais ce fût une révélation ! J'écoutais déjà beaucoup de musique, j'en faisais et je l'enregistrais déjà dans le studio de mon père... Mais ça ! C'était totalement nouveau ! Le weekend suivant, j'allais louer la traditionnelle VHS du weekend avec mon père et je suis tombé sur celle du film... que j'ai volée... Je n'en suis pas très fier, mais lorsque j'ai regardé le film en cachette (auquel je n'ai strictement rien compris... ce fût le deuxième effet kisscool. Je suis convaincu que c'est ce jour là que j'ai décidé de faire de la musique de film... S'en est suivi dix années de galères pour mes parents, avec un adolescent qui ne voulait plus quitter le studio pour aller à l'école... S'ils avaient pu imaginer tout ce qui a suivi, je pense qu'ils ne m'auraient pas amené devant cette chaine-hifi ce dimanche matin...
3° L'album qui ne quitte pas ta platine en ce moment ? Pourquoi ?
Il y en a deux. Le best of de Alan Silvestri (compositeur de Retour vers le Futur ou encore Forest Gump). C'est l'un des plus grands compositeurs de nos deux siècles. Il a ce talent d'arriver à donner une impression de simplicité à sa musique, alors qu'elle est terriblement complexe. C'est l'un des rares à mes faire pleurer comme une madeleine ou à me donner une montée d'adrénaline digne d'une substance illégale. C'est pourquoi je m'interdis de l'écouter en voiture ou sur la moto...
Le second, c'est le dernier album de Ben Howard. J'adore cet artiste. Il a ce petit quelque chose qui a disparu des studios depuis dix ans. d'ailleurs c'est avant tout un compositeur de studio... Il sera parmi les rois de cette dicipline, comme Robert Wyatt ou Paul McCartney en leur temps. J'en suis convaincu.
Chaque note utlisée à un réel impact sur le morceau et du coup, rien n'est à ajouté ou à enlever. Et cette voix ! Mais ça devrait être interdit d'avoir une voix comme celle là !
4° Une rencontre marquante avec un artiste ?
Il n'y en a pas eu tant que cela... Je suis tout sauf une personne sûre d'elle et à l'aise en société... Honnêtement, vous me croiseriez en soirée, on vous demanderait qui est l'autiste au fond de la pièce... Bon, c'est peut être exagéré, mais il y a un fond de verité. J'étais, il y a un mois, à la fête de fin de tournage du prochain film produit par Europa Corp. Autant vous dire qu'il y avait toutes les stars du moment... Ce fût impossible pour moi d'aborder qui que ce soit... J'en suis arrivé à ne me sentir qu'à l'aise dans le jardin, seul à fumer sous la pluie. Pathétique... Du coup, je n'ai jamais eu le cran d'aller vers de grands artistes. Mes rencontres se sont faites via mon travail essentiellement. J'ai eu la chance de rencontrer Harry Gregson Williams (compositeur de Ridley et Tony Scott). Un homme adorable et humble, avec qui nous avons parlé de tout, sauf de musique. Plus récemment, j'ai travaillé avec Dominique Farrugia sur son prochain film et j'ai adoré le personnage. Réalisateur, producteur, auteur, scènariste, mélomane... Il a tant de casquettes et de projets réalisés qu'on se demande ce qu'on pourrait bien lui apporter. Eh bien malgré tout ses talents, il arrive à vous donner de l'importance sur ses projets. Vous rendre essentiel... Et cette faculté, je n'ai que très rarement eu la chance de la croiser.
5° La chanson qui te met en joie ?
Ca devient de plus en plus compliqué, là !
Allez... Everybody need Somebody des Blues Brothers ou Hey Jude de McCartney. Mais récemment, j'ai adoré “Happy” de Pharell Williams. Pas très subversif, tout le monde a aimé ce titre. Mais il y a une raison à cela : elle est très simple et donc efficace.
lll
6° La chanson qui te fout le bourdon ?
Bourdon? Comme “triste”? Aucune ! Je ne les écoute pas... Faut pas déconner quand même. La vie est déjà bien assez dure à vivre comme ça pour ne pas en plus en rajouter une couche.
Si c'est “bourdon” dans le sens “nostalgique”, alors là il y en a plein. Mais celle qui me touche particulièrement c'est Mistral Gagnant de Renaud. Je n'ai jamais été fan de cet artiste et je n'en connais que les plus grands titres. Mais cette chanson vous touche droit au coeur quand vous êtes père d'une petite fille. C'est assez dingue quand on y pense, le talent qu'il faut pour toucher une cible si précise avec quatre accords et quelques mots.
7° Ta chanson honteuse ?
Je n'ai honte d'aucune chanson que j'écoute.
8° Un concert mémorable ?
Peter Gabriel aux Vieilles Charrues il y a quelques années. Ce fût une des plus belles journées de ma vie. Je venait justement de gagner le concours RealWorld le matin même (concours lancé par le label de Peter Gabriel) et j'avais reçu une vidéo du premier juré (Peter Gabriel himself) me félicitant pour mon premier prix. Pour un grand fan de sa musique depuis tout petit (question1), je marchais donc sur un petit nuage...
Le soir même, j'étais devant lui au Vieilles Charrues. Et il s'est passé quelque chose de magique pendant ce concert et tout le monde ne parlait que de ça après le show. Ceux qui y étaient s'en souviendront probablement : lors du dernier morceau (Shaking the tree), Peter Gabriel a invité Daby Touré sur scène. Et d'un coup d'un seul, un énorme arc-en-ciel s'est formé dernière la scène. On en voyait les deux extremités et il était aussi visible que dans un dessin animé. On aurait dit une scène d'un film de Terry Gilliam...! L'effet était saisissant. Les organisateurs auraient souhaité le déclencher, ils n'auraient pas fait mieux. Tout le monde montrait du doigt le phénomène et même Peter Gabriel s'en est amusé. C'etait magnifique... Et tout ça sans drogue !
9° L'album que tout le monde aime et toi, définitivement tu n'y arrives pas ?
Pour être tout à fait honnète, je suis un peu réac' sur beaucoup d'aspects de la musique en général... Je me surprends très vite à tomber dans le “c'était mieux avant”, alors que j'adore découvrir de nouveaux artistes. Du coup, il y a beaucoup d'albums qui ne méritent pas leur succès de mon point de vue.
Il y en a un qui représente parfaitement ce problème. Je trouve que Yann Tiersen est un artiste fantastique mais je ne supporte pas l'amalgame de ce qui est “beau” et de ce qui est “triste”. Qu'on se comprenne bien, la bande originale d'Amelie poulain est parfaite ! Son contexte dans le film est une évidence et je ne reviens pas là dessus. Non, ce qui me gène ce sont les yeux mièvres des pseudos groupies de café devant un pianiste notoire jouant la ballade d'Amélie. Il ne faut jamais attendre très longtemps avant d'entendre un : “Oh, c'est beau ce que tu joues...”. Non ! Ce n'est pas beau! C'est juste triste! Et tout le monde est sensible à la tristesse, donc tout le monde aime la BO d'Amélie Poulain... Cela peut s'appliquer à beaucoup des derniers “tubes” de ce siècle. Encore une fois, je n'ai rien contre Yann Tiersen et j'adore ré-écouter “le Phare” de temps en temps. Mais si on doit parler de beauté, il suffit d'écouter un Hallelujah (l'original de Leonard Cohen ou celui de Jeff Buckley, peu importe...), un Somewhere over the Rainbow, ou un Because des Beatles. Ca, c'est “beau” et plein d'espoir !
10° L'album que tu attends avec impatience ?
Aucun en particulier. Il y en avait bien un que j'attendais depuis un an. C'était le dernier Pink Floyd. Quelle déception... On aurait dit un album de groupe d'ados rendant hommage à la perode new-age qu'ils n'ont pas connu...
Du coup je n'attends plus. Si ce n'est la bonne surprise...