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3 février 2015 2 03 /02 /février /2015 19:44
Nothing Else Matters

Whiplash - Damien chazelle

 

Le film s’ouvre sur un écran noir et un premier coup de caisse claire, suivi d’un autre, puis d’un troisième, crescendo, de plus en plus rapide, en rythme, devenant roulement, bientôt martelé, toujours plus fort et plus vite, jusqu’au climax où surgit la première image et le dernier son comme un coup de fouet. Whiplash. En vingt secondes le ton est donné : comme la sécheresse d’une frappe sur la peau d’un fût, le récit s’annonce tendu, cinglant, percutant. Derrière un kit de batterie, on distingue au loin celui que la caméra va venir chercher par un lent travelling : Andrew Neyman, 19 ans, jeune prodige ambitieux du conservatoire Shaffer de Manhattan et qui souhaite sortir du lot.  

 

Enième film sur la musique et son univers impitoyable ?  Il y a bien dans Whiplash (titre phare de Hank Levy) un hommage à la rigueur musicale des répétitions, à l’application et au travail nécessaire et sans relâche pour toucher du bout de la baguette la perfection. Un hommage également à certains grands noms du jazz, Buddy Rich, Charlie Parker, qui ne sont pas arrivés là par hasard. Mais réduire le film au docu-fiction sur la dure vie d’un musicien serait une erreur.  Andrew doit aussi composer avec famille, envies, histoire d’amour.

 

Il s’agirait donc d’un récit d’apprentissage ? Le film effectivement présente le parcours typique d’un jeune homme souhaitant gravir les échelons d’un monde plein de bruit et de fureur. Celle en particulier du prédateur Fletcher, enseignant et chef d’orchestre tyrannique de l’école, capable de réduire à zéro une carrière en un claquement de doigts.

 

Issu d’un milieu aisé mais aux prétentions modestes (la scène piquante du repas de famille, très réussie) Andrew refuse la demi-mesure : il sera au sommet, tel un Rastignac de la cymbale, et pour cela il devra trouver les clés, la justesse, décrypter le solfège exigeant et capricieux du guide (impressionnant J.K Simmons, animal et crispant). Et pour cela justement, il pense devoir nier tout ce qui équilibre un être : relation sentimentale, amicale, collégiale. Il y a un peu du syndrome de Stockholm chez Andrew : progressivement aimer et tout quitter pour son bourreau, qu’il devienne son père, son censeur, son seul repère de réussite. Autorité, filiation, masochisme. En ce sens, Whiplash est beaucoup plus qu’un film sur la difficulté d’apprendre à devenir le meilleur batteur dans le petit monde du jazz.

 

C’est d’abord un film qui interroge sur notre capacité à s’investir dans un domaine, quelqu’il soit. Si tu veux être le meilleur, tout le reste doit être secondaire. Et chaque pas consacré à autre chose est un compromis. Relisons le narrateur de Camus dans La Chute :

 

« L’essentiel, en somme, est de pouvoir se fâcher sans que l’autre ait le droit de répondre. « On ne répond pas à son père», vous connaissez la formule ? Dans un sens, elle est singulière. A qui répondrait-on en ce monde sinon à ce qu’on aime ? Dans un autre sens, elle est convaincante. Il faut bien que quelqu’un ait le dernier mot. Sinon, à toute raison peut s’opposer une autre : on n’en finirait plus. La puissance, au contraire, tranche tout »

 

Et la puissance ici, c’est Fletcher : Whiplash devient un film sur le duel, la confrontation, la volonté de tuer le père (symbolique : le vrai père dans le récit est aimant) ou du moins l’injuste mais troublant dictateur, versant dans un mélange xénophobe, raciste et homophobe d’humiliations semblables au Hartman de Full Metal Jacket. A la seule différence que Fletcher, moins caricatural, brouille les lignes insidieusement tout au long du film : un temps exigeant, un temps séducteur (et manipulateur ?)  un temps écoeurant (ad libitum…) Pour mieux éprouver le spectateur.

 

Donc Whiplash est aussi un film sur l’obsession, la névrose, l’égo, la question du dépassement de soi par une voie unique. radicale, brutale, sans concession. Avec une progression dramatique finalement assez classique du point de vue d'Andrew : découverte / volonté / échec / abandon / temporisation / retour / suspens / réussite. Damien Chazelle, le réalisateur, ne parvient pas toujours à cacher les grosses ficelles de son récit, mais ce qui est sûr, c’est que Whiplash, par son sens de l’esthétisme et de la dramaturgie, de la narration, embarquera le spectateur, et le titillera par une virtuosité du plan quasi fétichiste de la main qui saigne, d’un montage synchrone et d’une extase artistique trop rarement éprouvée au cinéma. Whiplash est à voir par ce qu'il interroge sur le geste artistique, sa nécessité et sa valeur d'être un objet cinématographique. 

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